La France endeuillée
« L’avalanche…passa comme une trombe. Un craquement formidable se fit entendre, puis plus rien. Aulon avait presque disparu tout entier sous une lourde montagne de neige. Voilà qu’aussitôt les villages voisins s’ébranlent … (pour porter secours)
Après trois jours de fatigue inouïe, la pioche touche aux maisons. Hélas ! partout le silence de la mort. Dans les maisons croulées, rien que des cadavres, les uns broyés sous les décombres, les autres crispés et asphyxiés. On cherche encore…Le cinquième jour, une femme enfin apparaît »…
Cette avalanche a ravagé le petit village d’Aulon dans les Hautes-Pyrénées…en mars 1603. Ce récit, maintenu vivant par la tradition orale et des archives disparues au 18ème siècle, en est fait par l’instituteur d’Aulon en mars 1878.
En 2015, on aurait rajouté à ce texte: la ministre de l’Ecologie exprime, compassée, sa profonde émotion aux familles des victimes….blablabla. Le député local, membre de l’ANEM (association nationale des élus de montagne), représentant de cette association qui s’est opposé pendant si longtemps à l’approbation des mesures recommandées par l’Etat, accablé et honteux à la fois, regarde ses pieds, ne sachant plus vraiment quoi dire.
Le dimanche 1er février 2015 :
« Soufflé par deux avalanches, Aulon respire à nouveau » Source La Dépêche du midi du 04 février (http://www.ladepeche.fr/article/2015/02/04/2043087-souffle-par-deux-avalanches-aulon-respire-a-nouveau.html)
– La bergerie-fromagerie, située en bordure du village, construite au début des années 1980, est détruite par une avalanche « soufflante » catastrophique (comme en 1603). Le couple d’agriculteurs, alors occupé à la traite dans la salle mi enterrée, a miraculeseument pu s’extraire seul des décombres. Leurs 170 brebis et 3 vaches ont péri.
– Une colonie de vacance pour 100 enfants lourdement endommagée
Juste en dessous de ce bâtiment, une colonie de vacances a été enfoncée sur le toit et sur le pignon (photo jointe). Construite à la fin des années 60, elle pouvait accueillir une centaine d’enfants. Aucune disposition en matière de risque d’avalanche ne lui interdit d’ouvrir en hiver. Au moment de l’avalanche, elle n’était pas occupée seulement pour des raisons propres à l’association exploitante, et en aucun cas du fait de mesures de précautions dues à la connaissance de la forte dangerosité du site.
Et pourtant, ce même secteur atteint du village d’Aulon est répertorié en « risque fort » dans l’étude sites sensibles aux avalanches en zone habitée, SSA, H depuis 2006 par l’IRSTEA et par le service des terrains en montagne RTM de l’ONF, à la demande du ministère de l’Ecologie (http://www.avalanches.fr/ssa-donnees-publiques/ site La Peyrie).
Le plan de prévention des risques naturels, PPRN, d’Aulon est approuvé depuis 2006, avec le secteur bâti atteint situé en zone réglementaire bleue (constructible avec renforcements). Pour la fiabilité de cette cartographie PPR, il faut prendre en compte les aléas fort, moyen, faible (référence centennale) et exceptionnel (référence pluri centennale / avalanches au-delà de 100 ans). Or, la très grande majorité des cartographies actuelles des PPRN, effectuées sous la responsabilité de l’Etat, ne prennent en compte que l’aléa de référence centennale.
À Aulon, la bergerie et la colonie de vacances cartographiées dans le PPR, sans prise en compte de l’aléa exceptionnel, étaient situées dans une zone d’aléa moyen. Le parcours de cette avalanche était pourtant connu (http://www.avalanches.fr/clpa-les-donnees/ sites n°2, 3 et 4). S’ils avaient été construits après l’approbation du PPRN, les bâtiments auraient dû résister à l’avalanche « classique », centennale.
Mais, grâce aux ministres de l’Écologie, Madame Royal actuellement et à tous ses prédécesseurs, cette avalanche exceptionnelle ne figure toujours pas aujourd’hui sur les cartes de risques du village.
Cette avalanche exceptionnelle…, oubliée ?!
Et c’est pourtant le devoir de l’Etat et du ministère de l’Ecologie en particulier d’afficher correctement le risque connu.
Madame Royal le sait, qui n’a toujours pas signé, pour sa mise en oeuvre, le Guide méthodologique PPR avalanches alors que le document est sur son bureau depuis des mois après que toutes les études, rapports, consultations et concertations aient été achevés, comme en fait état sa propre réponse de novembre 2014 à un sénateur de la République (JO du Sénat du 27 novembre 2014). Politique oblige et malgré « l’intérêt public », elle ne l’a toujours pas signé pas pour ne pas déplaire à l’ANEM, l’association nationale des élus de montagne.
Les conséquences à venir
A Aulon, pas de victimes humaines : tant mieux. La ministre de l’Ecologie a donc aussi eu de la chance. Elle aurait été amenée à s’expliquer rapidement sur les raisons qui font qu’elle n’a toujours pas signé le Guide méthodologique PPR avalanche, document rédigé par son ministère, en collaboration avec ceux de l’Intérieur et de l’Agriculture, pour prévenir ce genre de drame. Afin de mieux préserver la vie des habitants, ce projet de guide impose justement la prise en compte de l’aléa exceptionnel (Val d’Isère 39 morts en 1970, Montroc-Chamonix, 12 morts en 1999, Ortiporio, 37 morts en 1934), comme le fait depuis des décennies l’ensemble de l’Europe de la montagne.
À Aulon, le contribuable y sera de sa poche, puisque le bâtiment agricole appartient à la commune et que l’assureur, instruit de la situation, aura beau jeu de dire que l’Etat est responsable de ce risque non signalé dont la commune n’a pu lui faire part pour qu’il en soit tenu compte dans le contrat d’assurances. Ce sera donc à lui, au final, de payer, sans doute, les quelques millions d’euros. Mais en ce moment l’Etat est riche, chacun le sait…, n’est-ce pas ?
Question : la ministre de l’Ecologie attendra –t-elle d’apprendre un jour par la télévision un nouveau message du type « 39 morts à Val d’Isère dans une avalanche non signalée » ? A Montroc, en 1999, seuls 5 des 17 chalets détruits étaient occupés. A deux jours près, début des vacances scolaires, il y aurait eu une cinquantaine de victimes. … Un vrai sujet de méditation pour notre ministre de l’Ecologie.
L’AIRAP, de son côté, a décidé de réagir à tout nouveau sinistre et de diffuser le plus largement possible les informations objectives sur la résistance des autorités publiques à exercer leurs pouvoirs pour assurer la protection des populations concernées.