Plaidoyer pour les « zones jaunes »de Richard Lambert, Expert en avalanches

« Pour une approche lucide, professionnelle et dépassionnée de ce dossier sensible »
par Richard Lambert, Expert en avalanches

Richard Lambert commente l’article de l’AIRAP : « la position politique de M. Saddier, président de l’ANEM », récemment publié sur ce site.


PLAIDOYER POUR LES « ZONES JAUNES » « Pour une approche lucide, professionnelle et dépassionnée de ce dossier sensible » A quelques jours peut-être du moment où l’arbitrage aux plus hauts niveaux de l’Etat doit être rendu sur les « zones jaunes », il est nécessaire de faire le point : quels sont les arguments officiels des détracteurs de ce concept et sont-ils fondés ? Pourquoi faut-il conserver les zones jaunes dans les PPR avalanches et comment les mettre en place le plus sérieusement possible ? 1 – A la lecture du site de l’AIRAP sur ce sujet, les arguments des détracteurs apparaissent au nombre de 4 : 1-1/ le réchauffement climatique fait que les risques d’avalanches vont diminuer C’est exactement le piège dans lequel il ne faut pas tomber ! Remarque liminaire : pour plusieurs observateurs, les phénomènes extrêmes tendraient à s’accentuer, spatialement et en terme de fréquence de survenance. En ce qui concerne les avalanches, ce n’est pas dans une série d’hivers difficiles, où les risques seront omniprésents, que l’on sera le plus surpris par un événement majeur. Il nous faut bien plus redouter un hiver violent , aux conditions nivo-météorologiques « exceptionnelles », perdu dans une décennie d’hivers décevants en enneigement, qui auront pour effet immédiat d’endormir notre vigilance. Les avalanches les plus dangereuses sont celles que l’on a oubliées…. C’est ce qui a fait dire à plusieurs officiels au sujet de l’avalanche de Montroc qu’on ne l’avait jamais vue ! Rappelons enfin que le 2ème « hiver du siècle » (1999, après 1951) est survenu à la fin de la décennie la plus chaude de ce même XXème siècle. 1-2/ On ne sait pas évacuer 10 000 personnes La difficulté d’évacuer (si tant est que cela soit la seule solution retenue et obligatoire ! ) ne peut être un argument recevable et raisonnable pour refuser les zones jaunes : ce serait irresponsable de s’arrêter à ce prétexte. En moins de 48 h aux USA, on sait évacuer 1 à 2 millions de personnes, pour fuir un cyclone ; nous parlons ici, en principe, de quelques centaines. D’autre part, les alertes de Météo France sont fiables, souvent données 24 à 48 h avant le pic de la crise avalancheuse (ce fut le cas en février 1999) et cela nous le laisse le temps de prévenir et d’intervenir , si des PCS efficaces ont été élaborés « à froid », bien avant la crise. Reste et c’est bien l’objet des zones jaunes, à définir avec précision agir, ce qui simplifiera le travail des services concernés, qui auront à œuvrer dans des délais très courts. Cela rendra aussi l’élu plus crédible dans la démarche sécuritaire qu’il doit à ses administrés. 1-3/ ces zones jaunes ont été définies n’importe comment. En France se dit expert qui veut La 1ère affirmation est erronée , la seconde n’engage que son auteur. Pour Chamonix par exemple, les zones jaunes montrent surtout des limites historiquement connues, établies d’après l’étude d’archives officielles, vérifiées, parfois même à partir de photographies . C’est plutôt un Aléa Maximal Vraisemblable Historique , peu discutable, qu’une zone définie « à dire d’expert » plus subjective peut-être aux yeux de certains. Quant aux experts, il semble important de chercher à s’appuyer sur des professionnels, spécialistes de cartographie et de zonage, dont diplômes, titres, et expérience sont incontestables et présentent une garantie. Pourquoi pas un collège d’experts ? 1-4/ L’Etat vise à la mainmise du foncier de nos communes Ce point de vue me semble pessimiste ; mais il faut en effet être, tous (usagers, techniciens, élus), très vigilants. En effet, selon moi, les zones jaunes doivent rester constructibles telles que définies dans le guide méthodologique PPRA 2004, avec la judicieuse différenciation entre ARC (Aléa de Référence Centennal) pour les biens (le bâti) , et AMV pour la sécurité des personnes. Raison de plus pour donner aux zones jaunes leur vraie et juste place sans attendre, plutôt que de les combattre ! 2 – Pourquoi les zones jaunes ? 2-1/ Elles constituent la réponse évidente et attendue après le drame de Montroc en 1999, où l’on n’avait pas su repérer spatialement un événement qualifié de paroxysmal. Elles sont une réalité désormais : le concept existe depuis plusieurs décennies en Suisse, et il est issu en France de la réflexion officielle post-Montroc (voir les préconisations des Inspecteurs Généraux de l’Environnement dans leur rapport du 9 octobre 2000). 2-2/ Elles ne nuisent pas au foncier : Elles n’interfèrent pas du tout avec les classiques zones rouges et bleues, puisqu’elles sont définies justement pour cartographier uniquement des évènements très rares , c’est-à-dire pour lesquels la référence à l’événement de probabilité d’occurrence centennale n’est plus suffisante. Rappelons que la protection des biens (bâti) est et reste définie selon l’Aléa de Référence Centennal. Avec cette distinction, sauf cas très particuliers, les zones jaunes éviteront l’extension des zones rouges. Mais à l’inverse, en cas de disparition officielle des zones jaunes et donc de possibilités ultimes d’évacuation efficace, une catastrophe entraînerait très probablement un tour de vis général et un renforcement…. des zones rouges. 2-3/ Elles visent à améliorer la sécurité des personnes : – elles permettent de répondre plus efficacement au risque le plus délicat à gérer : les avalanches majeures dont la probabilité de retour est faible. En général, cela concerne quelques jours par hiver et peu d’hivers par décennie. – elles permettent d’identifier de la façon la plus juste possible, les trajectoires réputées « imprévisibles » et les extensions longitudinales « surprenantes » (dépassant de plusieurs dizaines de mètres les limites communément admises) , de les cartographier et donc de repérer, puis de prévenir les usagers potentiellement exposés. 2-4/ elles sont là pour aider les élus , responsables de la sécurité et gestionnaires du risque, et non pas pour leur nuire ou complexifier leurs missions et leurs décisions. Il en va de la qualité des PCS, de la crédibilité du Maire dans ses prises de décision et dans sa volonté de gérer au mieux la sécurité sur le territoire de sa commune. Rappelons que les élus devront prendre en compte toutes les informations en leur possession directe , ou disponibles. Occulter les zones jaunes les placerait en situation dangereuse en cas de drame. 3 – Comment les mettre en place ? 3-1/ Pour être crédibles, acceptées par les riverains et les élus, elles doivent concrètement être établies par des professionnels, impérativement selon le principe du double regard (services instructeurs de l’Etat et experts privés). Cela afin d’assurer la fiabilité de leur tracé. Elles doivent être les plus exactes possible vis à vis de l’événement majeur ou extrême. Pour cela, elles peuvent être déterminées selon 3 méthodes indépendamment les unes des autres ou les 3 ensemble : – informations historiques fiables, sur 150-200 ans voire plus, – modélisations numériques, – « à dire d’expert » selon son expérience et une expertise croisée historique et naturaliste 3-2/ Leur connaissance officiellement organisée (zones jaunes en cartes règlementaires) sous-tend alors la notion de risque accepté par les populations concernées. Un citoyen dûment informé de tous les risques réels auxquels il est exposé, acceptera plus facilement les décisions imposées dans des circonstances « exceptionnelles ». A l’inverse, tenu dans l’ignorance du vrai risque qui le menaçait (et qui pouvait être connu et dit), il serait en droit de rechercher toutes les responsabilités en cas de catastrophe. 3-3/ Leur mise en pratique impose de fait une participation plus nette de l’Etat, à plusieurs niveaux, dans la prise de décision délicate des élus. On ne peut plus rester dans la dichotomie actuelle, un peu simpliste, qui génère d’ailleurs une partie du malaise : l’Etat affiche le risque, le Maire gère le risque. Le 24 septembre 2008 Richard LAMBERT Expert en avalanches

 

 

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